King Kong

Publié le par Léthée Hurtebise

L’histoire de King Kong, c’est à trois cinéastes de génie (Merian C. Cooper, Edgar Wallace et Ruth Rose) que nous la devons. Sur la base de leur scénario, D.W. Lovelace écrivit le roman. C’était en 1932. L’année d’après, le film que nous connaissons tous sort dans les salles. Il est signé Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack. L’histoire met en scène une équipe de tournage (tiens donc..) partant faire le film du siècle (ben voyons..) sur une île mystérieuse peuplée d’indigènes et de bêtes sauvages, démesurées et préhistoriques. Ils découvrent que les indigènes ont pour habitude d’offrir leurs femmes à leur Dieu : Kong, un singe-monstre qui mesure une quinzaine de mètres et dont ils doivent se protéger autant qu’ils l’adulent. Lorsqu’ils voient la jeune actrice, Ann, parmi l’équipe de tournage, ils décident d’en faire une offrande. La suite, tout le monde la connaît. Seulement , il y a un bémol. Plusieurs versions se sont succédées depuis 1933, et parmi elles la plus exubérante et idiote fantocherie (voir le film de Ishirô Honda sorti en 1962, King Kong contre Gozilla (quand les productions américaine et japonaise se rencontrent…) qui vaut franchement son pesant de tomates..).  De 1933 à 2005, en passant par le très critiqué mais très intéressant 1976 (dont on oubliera volontiers la version II où King Kong est ressuscité pour être à nouveau pourchassé par l’armée puisque les Américains adorent jouer à la guerre grandeur nature…), nous nous sommes régalés, énervés, nous avons pleuré, mais qu’en avons nous retenu ? Qu’est-ce qui fait de ces trois films des chefs-d’œuvre individuels à posséder absolument ? Chez Cooper et Schoedsack, chez Guillermin, chez Jackson il y a indéniablement une grande différence et elle s’appelle « contexte ». Il y en a une autre d’autant plus grande qu’elle est importante au cinéma : « moyens ».  Et enfin la grande ligne de conduite qui les réunit tous unanimement, c’est le « défi ».

 

Le contexte, c’est le choix de l’époque, les préoccupations du réel contemporain qui construisent la fiction du film. Initialement, l’aventure King Kong se déroule dans les années 20-30. On peut discuter le choix de Guillermin, d’avoir transporté l’histoire dans les années 70. Cependant, les préoccupations contextuelles de l’aventure ont bien changé, et dans l’opus de 1976, c’est la crise pétrolière qui est pointée du doigt, et non le chômage et le monde du cinéma à ses débuts. Ce choix aussi est critiquable, et pour le coup, la critique a raison. King Kong, c’est avant tout une histoire de puissance humaine, et il aurait fallu ne pas confondre la belle et la bête avec US vs Irak. Disons-le, dans le film de Guillermin, il y a trop. Trop peut-être parce qu’il fait du hors sujet à force de trop vouloir intellectualiser avec un mythe qui n’a pas besoin de béquilles. Kong n’a pas besoin d’histoires parallèles, la sienne est déjà fabuleuse.

 

Admettons-le encore : choisir le World Trade Center en lieu et place de l’Empire State building comporte plus d’un symbole, et là où l’histoire originale avait de la beauté, le remake de Guillermin a de la sauvagerie. Davantage de buildings - et pas des moindres, des avions modernes, une époque moderne, des préoccupations politique et financières qui remplacent les financières préoccupations artistiques, et encore plus de sang ! A croire que la bête n’était qu’un prétexte aux réflexions philosophiques de l’auteur sur les finances de son pays !

 

Peter Jackson (on y vient on y vient) n’a pas eut le choix. S’il avait voulu reprendre l’époque des années 70, il aurait été bien embarrassé… les tours, c’était après tout séduisant mais bien que nous connaissions fort bien les superbes effets spéciaux du Seigneur des Anneaux, le fardeau aurait été bien encombrant. Gageons cependant que PJ ne s’arrêterait pas à cette petite embûche… que serait la reconstruction virtuelle des Twin Towers.  Mais non, vraiment non : le World Trade Center assimilé au cocon maternel ce n’était pas la meilleure idée du cinéma.

 

C’est bien l’époque première du cinéma qui a attiré Peter Jackson, et pour un réalisateur de sa trempe, on peut imaginer combien il était important de rendre hommage à un film et à un héros qui doivent lui être chers ! Comment ne pas faire le rapprochement entre la puissance de Jackson et celle de King Kong ? Allez, osons le cliché !

 

Quelle joie de retrouver presque à l’identique les plans du film de 1933, avec cette fois un gorille plus vrai que nature pour remplacer celui de carton pâte, avec des avions qui semblent être la réplique exacte du premier film… des décors de la jungle à la sobriété de la mise à mort, en passant par la coupe de la somptueuse robe blanche de Ann, tout y est, la qualité numérique en plus. Un plaisir pour le regard, une satisfaction pour les admirateurs du singe, un rêve fabuleux qui se réalise : enfin King Kong est vivant et plus vrai que nature. Le défi est bel et bien relevé.

 

Le film de 33 n’aurait jamais pu permettre davantage, et n’aurait jamais pu illustrer tout le tragique de l’histoire autrement que dans le spectaculaire. Mettons nous à la place du spectateur de l’époque : il assiste à un spectacle prodigieux, un monstre de carton pâte géant enlève une actrice et l’emmène sur l’Empire State Building. L’imagination du scénariste était miraculeusement, magiquement illustrée. Partant, à quoi servent les remakes ? A améliorer la vision de l’œuvre. La vision de Jackson est réussie, complète, sensuelle et humaine, bestiale et attachante, spectaculaire et attendrissante, gigantesque et poignante.

 

Oublié le King Kong de 1976, avec ses scènes chargées d’érotisme (rappelez vous l’effeuillage du collier, la douche sous la cascade), car on lui préfère de loin la brute au cœur tendre, gonflant son torse et tournant la tête en air de triomphe défiant le cœur de sa belle, bombant toute sa fierté dans un geste à la fois tendre et macho. En lui sommeille l’homme idéal qui fait semblant mais ne peut en vouloir à celle qu’il aime. Peter Jackson lui rend honneur avec toute la richesse de son talent. Il était temps.

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